Voici le deuxième article d'Olivier DEGRENNE, qui travaille au département des sciences du sport de l'Université Paris-Est Créteil.

Vous pouvez lire son premier article ici : Comment l’analyse vidéo peut-elle aider à performer ?

Entre les différents logiciels d’analyse vidéo existants sur le marché, la concurrence est rude. La recherche d’amélioration des services est toujours en ligne de mire, chaque « solution » possède ses points forts et ses points faibles… Du leader incontournable pour le sport de haut-niveau, au logiciel bon marché pour les structures amateures, en passant par les logiciels d’analyses biomécaniques, les structures doivent faire des choix en partie dictés, par leur pouvoir d’achat.

L’objet de cet article n’est pas de faire la promotion d’un logiciel plus que d’un autre, mais plutôt d’expliquer que ce dernier reste un outil au service de la démarche d’analyse vidéo que les acteurs du monde sportif souhaitent mettre en place. Tout au long de ce texte, des allers-retours seront effectués entre des éléments techniques de logiciels et d’autres plus macroscopiques relevant plutôt du processus d’observation et de compréhension de la performance. Nous retracerons donc chaque étape d’une analyse vidéo, depuis la création du fichier vidéo jusqu’à la production du montage à destination des athlètes, en gardant en fil rouge la logique profonde qui doit conduire chaque action technique.

Nous nous appuierons sur le logiciel Editor de BEPRO, arrivé récemment sur le marché, pour imager les différentes étapes du processus d’analyse. Nous avons choisi ce logiciel en raison de son accessibilité (environ 500€/an pour un club), de sa polyvalence (utilisable online, offline, sous Windows ou MacOsX) et de facilité de prise en main.

Création du fichier à analyser

La démarche est souvent la même. Au retour de match ou de compétition, il faut alors retirer la carte mémoire du caméscope et « dérusher »[1]. Une fois que le fichier est sur l’ordinateur, nous pouvons lancer le logiciel d’analyse et créer un projet ou un paquet selon la solution (terminologies spécifiques aux logiciels).

Projets vidéo dans l'éditeur BEPRO

Les interfaces sont souvent similaires. Elles se présentent sous forme d’un écran de visionnage, une TimeLine  sous laquelle s’afficheront les séquences par thématiques et sur le côté, un volet permettant de créer vos propres boutons (ce sont les différents noms de séquences que vous intègrerez dans la TimeLine[2] lors de votre séquençage[3]).

Après avoir réalisé ces opérations pour la vidéo d’un match de football par exemple, le moment critique arrive : que faire ? Lancer le match et le regarder ? Attention, la règle dit que « si je regarde tout, je n’observe rien » ! Observer est un processus cognitif qui mène à l’analyse du monde qui nous entoure. L’observation est différente de la contemplation dans la mesure où elle nous invite à comprendre les interactions entre le sujet et son environnement. Deux questions centrales doivent alors structurer le raisonnement :

- Que faut-il observer ?

- Avec quel niveau de précision ?

Que faut-il observer ?

Lorsque nous analysons une pratique sportive, nous devons l’observer sous un angle précis, en identifiant les observables en amont. On parle alors d’indicateurs, ce sur quoi nous posons notre regard. Pour chaque indicateur, il faut identifier des variables qualitatives qui permettront de juger la performance effectuée, on parle alors de critères.

Par exemple, lorsqu’on effectue une passe au football, la passe sera l’indicateur, ce que l’on va observer, et on regardera ensuite la direction, le type de passe, son résultat, … nous aurons alors plusieurs critères pour renseigner la réalisation de la passe.

Avec quel niveau de précision ?

Dans un premier temps, il va falloir créer les boutons sur lesquels vous cliquerez pour séquencer la vidéo. Selon les logiciels, nous pouvons soit créer des boutons « évènement » spécifiques à chaque critère (par exemple un bouton « passe réussie » et un bouton « passe ratée ») ou créer un bouton « évènement » général et des boutons descripteurs, ou label, qui qualifieront la prestation (dans la même logique, « passe + réussie » ou « passe + ratée »). La différence réside alors dans le niveau de précision de l’analyse. Ainsi, le fait de coder l’ensemble des passes me permettra de toutes les comparer entre elles selon le résultat. Si je code séparément, chaque type de passe, la comparaison sera plus compliquée dans la mesure où elles n’appartiendront plus à la même catégorie d’action.

 En effet, un bouton dit « évènement » va créer une séquence. La séquence va alors avoir une existence temporelle avec un début et une fin dans la TimeLine. On peut alors choisir des séquences très courtes (tous les tirs d’un match de handball par exemple) ou plus longues (chaque phase de possession du ballon par une équipe au cours d’un match de football). L’analyste est maître de son choix, mais doit être guidé par un principe appelé « Atomicity Principle » (Davidson, 1996) : il est impossible d’analyser à un niveau inférieur de celui auquel nous séquençons.

En somme, toutes les démarches sont bonnes à condition d’être guidées par un objectif d’analyse.

Le séquençage

Une fois le projet d’analyse identifié, les boutons séquences créés, le séquençage peut commencer. Nous pouvons alors lancer la vidéo, et cliquer sur les différents boutons (ou raccourcis clavier selon la méthodologie préférentielle de travail) pour voir les séquences se créer. Par exemple, à chaque passe effectuée d'un des indicateurs, une nouvelle séquence apparaît. 

En cas d’erreur, il est possible de revenir en arrière et de supprimer la séquence erronée pour la remplacer par une autre. C’est bien là le grand avantage de l’analyse post-match. Une fois le match terminé, toutes les séquences sont créées et c’est une fois ce travail réalisé que la véritable commence.

Rapports

Tout ce travail n’a de sens que s’il vise à transformer la performance des athlètes. Plusieurs options s’offrent à nous. Nous pouvons faire un rapport statistique pour permettre à l’athlète d’évaluer sa performance. Attention alors de ne pas tomber dans les travers des données statistiques vides de sens ! En effet, l’évaluation de la performance, qu’elle soit technique ou tactique, est rarement binaire, c’est-à-dire tout bien ou tout mal. Il faudra donc approfondir les analyses en dépassant le duo classique « tirs cadrés / tirs non-cadrés ». Nous pouvons également effectuer des montages vidéo pour expliquer ou démontrer des éléments saillants de la performance de l’athlète. Mais que faut-il montrer ? Le positif ? (Dans le but de renforcer les bons comportements). Le négatif ? (Pour corriger les erreurs). Les deux ? Mais alors dans quel ordre ? La méthode « Sandwich » (consiste à enrober une critique entre deux compliments) pour que l’athlète ou l’équipe reste ouverte aux corrections sans avoir l’impression d’avoir tout fait de travers. Il n’y a malheureusement pas d’unique bonne réponse.

La transmission de l’information doit se faire comme dans tous les rapports humains, en cherchant à utiliser un langage intelligible pour son interlocuteur. Il s’agira alors de comprendre ses modes de fonctionnement et d’évaluation de ses propres performances pour l’aider à s’améliorer.··

Toujours est-il que l’association entre les données chiffrées et la vidéo nous semble être la meilleure manière de présenter les informations. En effet, la statistique va permettre de pointer du doigt les éléments saillants à corriger, à renforcer ou à ne plus utiliser. La vidéo permettra ensuite de mieux comprendre ce que la donnée a décelé.

 Après avoir effectué l’analyse statistique, nous pouvons commencer le montage vidéo qui mettra en images les données présentées plus tôt. Notons qu’un débriefing vidéo doit être bref et précis. Pour une efficacité optimale, le débriefing doit avoir lieu idéalement le lendemain de la performance et d’une durée inférieure à 20 minutes (Wright et al.,2012).  Lors de la lecture des vidéos, il est préférable d’effectuer des allers-retours entre les éléments vidéo et le discours. Il a été démontré qu’un joueur retient moins de 20% des éléments présentés au cours d’une séance vidéo (Middlemas et al., 2017). Ceci peut s’expliquer par le fait que l’analyste, ou le coach, ont accès à une immense quantité d’informations via la vidéo et a tendance à vouloir transmettre un grand nombre d’informations à ses athlètes. Un allongement de la durée des sessions vidéo et un manque de clarté dans les messages à retenir peuvent entraîner une surcharge d’informations (Nicholls et al., 2018).

Il est donc impératif de structurer le débriefing autour d’un message clair en dégageant quelques vidéos clés qui constituerons la future base de travail. Attention, une vidéo de 20 secondes lue une fois à vitesse réelle, une fois au ralenti (x0,5) et une fois à vitesse réelle avec 5 arrêts sur image de 5 secondes devient une séquence qui dure 1 minute et 45 secondes… il va donc falloir être efficace. Il est donc nécessaire pour commencer, de sélectionner les bonnes séquences afin d’établir une communication efficace.

Le choix des séquences

Pour conserver une logique d’efficacité et garder l’attention des athlètes, il est préférable d’éviter les « séquences gags » ou possédant des éléments trop extrêmes, positifs ou négatifs. Le choix de la bonne séquence n’est pas toujours évident, notamment lorsqu’on veut mettre en avant une situation peu fréquente dans l’activité. Idéalement, il est bien de choisir les séquences qui ont penchées d’un côté ou de l’autre pour un détail sur lequel vous allez pouvoir travailler plus en profondeur avec votre habillage vidéo.

L’habillage vidéo

L‘habillage vidéo consiste à intégrer des animations, des dessins, des ralentis, … afin de cibler les points clés à observer. Lors de la présentation des images aux athlètes, privilégiez des analyses simples et efficaces avec quelques éléments clés mis en évidence afin de les accompagner dans l’observation. La présentation vidéo a pour but de délivrer un message clair et précis. Les animations doivent servir à clarifier le message et à faciliter le traitement de l’information. L’outil vidéo sollicite la mémoire de travail. Si le message est complété par un trop grand nombre d’informations, le risque est de créer une situation de surcharge de la mémoire à court terme qui a une capacité de traitement limitée (Sweller, 1988). Il est donc important de limiter les stimuli pour focaliser l’attention des athlètes sur le cœur du message.<br><br>La logique est similaire à la phase précédant le séquençage. Identifier les observables spécifiques dans l’action (les indicateurs) comme le positionnement des défenseurs, l’orientation du défenseur, la trajectoire des courses des non-porteurs de balle … et les critères permettant de qualifier la situation comme la distance entre le porteur et le premier défenseur …

Le montage

L’habillage étant terminé, il ne reste plus qu’à organiser le montage. Il s’agit alors de choisir l’ordre de diffusion des images. Peu de règles existent dans la littérature sur cet aspect, nous faisons néanmoins l’hypothèse que l’utilisation d’une approche « zoom » est assez pertinente pour mettre en exergue les éléments à observer. Il s’agit alors de partir d’une vidéo classique à vitesse réelle pour ensuite affiner la lecture et focaliser le regard sur des éléments de plus en plus précis en utilisant les moyens techniques offerts par les différents logiciels (zoom, dessins, ralentis, arrêts sur image, …).

Enfin, la quasi-totalité des logiciels permettent d’ajouter des vignettes titres entre les vidéos. Ces fonctionnalités permettent de situer l’objet de l’observation à venir et de faire une transition entre les différentes thématiques pouvant etre abordées au cours de la séance vidéo. Néanmoins, il faut garder en tête qu’une séance vidéo efficace aura un nombre de thématiques limité afin d’optimiser la transmission du message.

Conclusion

Cet article a pour but d’offrir des lignes directrices pour l’utilisation de l’outil vidéo afin d’effectuer des débriefings. La démarche n’est en rien prescriptive. L’objet était ici d’identifier les connaissances (pratiques et théoriques) utiles pour optimiser la prise en main des outils et la gestion des sessions de vidéo-feedback. En effet, l’aspect chronophage de la vidéo nécessite de tout mettre en œuvre pour augmenter son efficacité.

Pour cela nous avons suivi la démarche d’utilisation d’un logiciel d’analyse vidéo (ici Editor de Bepro) de l’import de la vidéo à l’export du montage final. Nous avons souligné l’importance d’utiliser un angle précis d’analyse lors du séquençage puis la nécessité de transmettre un message clair lors de construction du montage pour augmenter le rendement du débriefing vidéo.

Pour les personnes désireuses de s'essayer à l'analyse vidéo, notre forfait de base est l'outil idéal pour commencer.

Références

Davidson, F.(1996) Principles of Statistical Data Handling, Thousand Oaks, CA : Sage Publications.

Middlemas, S.G., Croft, H. G., & Watson, F. (2017). Behind closed doors: The role of debriefing and feedback in a professional rugby team. International Journal of Sports Science andCoaching,13(2), 201–212

Nicholls, S. B., James, N., Bryant, E., & Wells,J. (2018). L'utilisation et l'engagement des entraîneurs d'élite dans l'analyse de la performance au sein des sports olympiques et paralympiques. International Journal of PerformanceAnalysis in Sport, 18(5), 764-779.

Wright, C., Atkins, S. et Jones, B. (2012). An analysis of elite coaches' engagement with performance analysis services (match, notational analysis and technique analysis). International Journal of Performance Analysis in Sport,12(2),436-451.